1. Ainsi qu'en
témoigne une lettre, saisie par les Français, envoyée
par un haut mandarin de la province viêtnamienne de Chau-Doc
aux insurgés khmers de Tréang: "... L'Annam
et le Cambodge sont deux puissances amies dont les relations cordiales
remontent très loin, tandis que les Francais sont des sauvages
et des féroces d'un pays étranger, lesquels ne tiennent
aucun compte des traités et mettent des entraves partout:
ces gens appartiennent à la race des chiens et des chevaux.
"Le gouvernement d'Annam qui a sollicité l'appui de plusieurs puissances a aussi envoyé en secret un émissaire d'un rang élevé pour parcourir toutes les provinces, lequel a appris que la citadelle de Phnom Penh était au pouvoir des Français. Nous adressons la présente lettre au camp retranché pour faire connaître aux défenseurs du Roi du Cambodge que les délégués des deux nations se réuniront pour délibérer sur le point de savoir ce qu'il convient de faire..." (13 juillet 1885.) Citée dans Etudes cambodgiennes, n· 12,1967, p.36.
3. Voir l'étude
de Charles Meyer, L'insurrection nationale de 1885-86,
assez favorable au roi Norodom.
4. La chose est
un peu tombée dans l'oubli, et il se trouve même
des nostalgiques de la colonie pour affirmer que ces recrutements
étaient réguliers. Il n'est donc pas inutile de
rappeler que des manoeuvres étaient recrutés par
milliers dans les villages misérables du Tonkin grâce
à des méthodes où l'hypocrisie le disputaient
à la brutalité. On trouvera à ce sujet de
nombreux documents dans le livre de Paul Monet, Les Jauniers,
qui, décrivant les conditions de travail dans les plantations
de la Cochinchine et du Cambodge, n'hésite pas à
parler de "bagne" (p.26). Lorsque l'on apprend dans
quelles conditions étaient expédiés des convois
de manoeuvres à Cayenne, Tahiti ou Nouméa, avec
une mortalité qui pouvait atteindre 50%, on ne voit que
le terme d'esclavage pour décrire ces pratiques coloniales,
qui ont persisté au moins jusqu'à la Seconde Guerre
mondiale. Monet, que l'on ne suspectera pas de progressisme, conclut
ainsi: "L'ordre régne aujourd'hui en Indochine...
comme il régna naguèrc à Varsovie. Mais de
quoi demain sera-t-il fait?" (p. 167.) Il écrivait
en 1930.
Paul Mus analyse, de son côté, les causes et les effets sociaux de ces recrutements. (Viêt-Nam, sociologie d'une guerre, p. 106-113.)
5. Cité
par R. Prud'homme, L'Economie du Cambodge, p.13.
6. Monireth était
l'oncle de Sisowath Sirik Matak, vice-président du conseil
et instigateur du coup d'Etat du 18 mars 1970. Les prétentions
au trône de ce dernier furent discrètement mises
en valeur par la presse locale, jusqu'au moment où les
nouvelles autorités lancèrent une campagne pour
préparer l'instauration de la république. Sirik
Matak renonça alors à son titre de prince.
7. Le 9 mars 1945,
les autorités d'occupation japonaises saisirent sans préavis
tous les leviers de commande qui étaient encore aux mains
de l'administration coloniale française et internèrent
tous Ics Français. Peu après, ils proclamaient l'indépendance
de tous les territoires qu'ils occupaient en Asie et remettaient
les apparences du pouvoir à des politiciens longtemps pourchassés
par les polices coloniales. Trois mois plus tard le Japon s'effondrait.
8. Les carrières
de ces deux personnages clés du régime sihanoukiste
sont assez symptomatiques pour être rappelées: Lon
Nol, né en 1913, entra d'abord dans la magistrature puis
gravit de 1937 à 1945 les principaux échelons de
l'administration coloniale. Il est gouverneur de Kratié
en 1946 quand le roi l'envoie négocier la restitution des
provinces occupées pendant la guerre par les Thaïlandais.
En 1951, hattu aux élections, il est chargé de la
police nationale. Sihanouk le verse dans l'armée en 1952
comme lieutenant-colonel; il dirige les attaques contre le Viêt
Minh en 1954, est ensuite chef d'état-major en 1955, ministre
de la Défense en 1960, lieutenant-général
en 1961, président du conseil des ministres en 1966-1967,
poste qu'il retrouve en août 1969 et qu'il conserve aprés
le coup d'Etat. Connu pour ses opinions de droite, il a toujours
été un "proche" de Sibanouk. "Il
était mon bras droit, et mon bras droit m'a frappé
avant que je puisse me défendre", dira de lui Sibanouk,
quelques semaines aprés son arrivee à Pékin.
Nhiek Tioulong, né en 1908, fait également carrière e'ans l'administration: en 1937 il est gouverneur de Pursat, en 1945 ministre de l'Education nationale. En 1949, Sihanouk le fait colonel, puis général en 1954 quand il signe les Accords de Genève. Il passe à la diplomatie, puis participe aux différents cabinets qui se succèdent de 1958 à 1962. Il devient alors inspecteur général des armées, et en 1966, commandant en chef. Sihanouk manipule à volonté ce fils de mandarin pour contrôler l'armée. Il se retire en 1969, avec une opulente fortune, et s'installe en France quelque temps avant le coup d'Etat.
9. Il se sentait
talonné par les événements, ainsi qu'en témoigne
cet extrait d'un "message au peuple khmer", du 13 janvier:
"Désormais, tout individu ou tout parti politique
qui travaillera contre Ma politique et contre Mon programme national
sera déclaré traître à la Nation et
comme tel sera poursuivi et puni conformément à
la loi du Pays." (Cambodge du 19 janvier 1953.) Dans
le même message, il allait jusqu'à attaquer Son Ngoc
Thanh et quelques-uns de ses affidés en les traitant de
"communistes notoires"...
10. Cf. Roger
M. Smith, Cambodia, p. 615 et sq.
11. Les Cham
sont un peuple de lointaine origine malaise, qui occupa longtemps
ce qui est aujourd'hui le Centre Viêt-Nam. Pendant plusieurs
siècles, le Champa barra l'expansion viêtnamienne
vers le sud. Finalement, écrasés militairement,
les Chams furent en grande partie absorbés par la colonisation
viêtnamienne. Quelques îlots de population cham subsistent
au Viêt-Nam, vers Phan Thiêt, et au Cambodge, près
du Mékong. Ils sont généralement convertis
à l'islam, et vivent de la pêche et de l'élevage.
12. Il n'est
pas inutile de rappeler ici l'opinion d'Aymonnier, érudit
et administrateur: "Les Français sont amenés
à dire et à répéter que la propriété
n'existait pas au Cambodge et qu'il fallait la constituer. Ceci
fut fait à diverses reprises, sur le papier, avec fracas,
charlatanisme même sauf à paraître, aux yeux
des indigènes, mettre à la fois en échec
la souveraineté royale et la possession de fait des sujets,
prêts alors à se soulever la hache a la main pour
défendre cette propriété que les protecteurs
menaçaient plutôt en croyant la constituer."
(Cité par Hou Yuon, p. 59.) Les faits sont résumés
par Imbert, mais on trouvera des analyses très détaillées
de ces problèmes fonciers dans les thèses de Bruel
et Kleinpeter- Hou Yuon leur donne leur véritable dimension
sociologique.
L'acquisition de terres par les colons
français, individus ct grandes sociétés s'est
développée surtout à partir de 1920, par
achats et défrichement Au moment de l'indépendance
les colons détenaient environ 10% des terres cultivées.
La proportion ne semble pas avoir beaucoup baissé aujourd'hui.
13. Hou Yuon,
La Paysannerie du Cambodge et ses projets de modernisation,
p 67.
14. Mao Tsé-toung,
in Edgar Snow, The Other Side of the River, Londres, 1970,
p. 70.
15. Beaucoup
d'auteurs s'accordent pour attribuer au clergé, en raison
de son attachement à la culture nationale, un rôle
politique qui va dans le sens de l'indépendance du pays.
Telle n'est pas l'opinion d'un auteur, M. Phung Ton, assez proche
de la ligne du parti démocrate: "Abstraction faite
de leur doctrine religieuse et philosophique, les bonzes n'ont
pas de conceptions politiques stables: ils donnent leur appui
tantôt aux Français, tantôt a la bourgeoisie
nationale, tantôt à la monarchie. Armand Rousseau,
administrateur an Cambodge sous le règne de Norodom, avait
mis en lumière les activités de ces moines bouddhiques
à l'égard des forces ar nées du Protectorat
en écrivant [Le Protectorat français au Cambodge,
thèse, 1904, p. 31]: "... Nos troupes trouvèrent
toujours de précieux auxiliaires parmi ces bonzes qui mirent
à leur service les secours et les approvisionnements de
toute nature dont ils pouvaient disposer"." (La Crise
cambodgienne, p. 101.)
16. Cambodge,
quotidien, 7 novembre 1968. Voir aussi, en annexe "la pompe
monarchique", p. 315.
17. Les manifestations
d'humilité n'étaient pas réservées
au seul chef de l'Etat. Plus l'écart hiérarchique
est grand, plus la génuflexion est accentuée. Devant
les hauts dignitaires de l'Etat ou du clergé, les humbles
se prosternent. Un code complexe de civilités, de servilités
diront certains, règle des rapports très liés
à de subtils distinguos hiérarchiques Après
son arrivée à Pékin et son engagement dans
la lutte, Sihanouk a supprimé cette pratique autour de
lui. Pour un Cambodgien moyen, c'est là un événement
considérable .
A propos de la divination, on notera le rôle très important que jouent les astrologues. On ne fait rien sans les consulter. Sihanouk a toujours son astrologue, une vieille femme. avec lui. Lon Nol en héberge plusieurs dans sa villa.
18. Khieu Samphân,
qui cite des taux d'intérêts allant jusqu'à
200 et 300% par an, explique cette absence de transfert: "Tout
se passe comme s'ils [les paysans] travaillaient sur la terre
des usuriers. Seulement la croyance en cette "propriété"
fait qu'ils s'y accrochent autant qu'ils le peuvent, dans les
situations les plus difficiles, attendant les "jours meilleurs".
Les usuriers, propriétaires fonciers et commerçants,
ont tout intérêt à perpétuer cette
croyance et ne se sentent pas le besoin de procéder à
des expropriations pour cause d'insolvabilité." (L'Economie
du Cambodge et ses problèmes d'industrialisation, p.
48.) L'usurier est en effet propriétaire de la force de
travail du paysan sans avoir les charges inhérentes à
la possession des moyens de production. A des taux semblables,
il ne trouverait sans doute pas de métayer aussi rentable
pour lui.
19. Ce programme
est analysé plus loin, p. 289.
20. Nhoeng Nham,
Organisation sociale d'un village cambodgien,p.26-28.