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LES ANNEES DE FORMATION
- Monsieur le Président, étant donné l'importance de votre expérience dans de multiples domaines, permettez-nous de retracer votre itinéraire. Nous aimerions commencer, si vous le voulez bien, par la toute première enfance.
Je suis né dans un petit village dont le nombre d'habitants à l'époque ne dépassait pas les trois mille. Aujourd'hui, c'est une grande ville qui compte environ 90 000 habitants.
Ce village s'appelle "Maghnia", du nom d'une femme très pieuse originaire de Marrakech. Elle faisait presque tous les ans le pélerinage à La Mecque, se déplaçant avec les caravanes de pélerins qui faisaient le chemin à pied ou à dos de chameau. Lors d'un de ces voyages, la caravane s'étant arrêtée dans la région où devait plus tard naître mon village, la pieuse dame fut conquise par le site, et à son retour de La Mecque, elle décida de s'y installer. Elle y demeura jusqu'à sa mort et y laissa des descendants. Au début, le village se forma autour de sa maison, puis autour de son tombeau et prit son nom.
12 Les descendants de Hadja Maghnia vivent toujours dans le village, entourés du respect de tous de par leur piété et leur tradition de jihad.
Le fils de Hadja Maghnia, Sidi el-Mouffok, prit les armes aux côtés de l'émir Abd el-Kader. Arrêté par les Français, il fut assassiné et nul ne sait encore de nos jours le lieu de sa sépulture. Certains prétendent même que son tombeau serait quelque part en Corse. Le combat et le martyr de Sidi el-Mouffok est resté gravé dans nos mémoires grâce à une longue épopée que tout le monde chantait au village. Je me souviens que ma mère (que Dieu ait son âme) la chantait souvent devant moi et, en prison j'en avais ~:-transcrit les paroles, le papier doit d'ailleurs se trouver dans les archives conservées dans notre vieille maison de Maghnia.
L'un des lieutenants de Sidi el-Mouffok a lui aussi laissé une famille de moudjahidines, et l'un de ses petits-fils a combattu aux côtés de l'émir Abd el-Krim el-Khattabi.
C'est donc dans ce village que j'ai vu le jour et que j'ai grandi. J'y ai fait mes études primaires et je n'ai dû le quitter que vers l'âge de onze ou douze ans pour passer à l'école secondaire. Je me souviens que nous n'étions que six ou sept élèves de notre village à pouvoir passer en secondaire. Non, non... j'y pense maintenant, cette année là il y a eu onze Algériens reçus. Je m'en souviens bien parce que c'était un événement qui se produisait pour la première fois.
- A cette époque, l'enseignement se faisait uniquement en français ?
Oui, uniquement en français. L'école était moderne, selon le modèle français et on y enseignait le programme français. Mais à cet âge là, j'apprenais l'arabe à l'école coranique (al kouttab). Je sortais de la maison à 4 heures du matin pour al kouttab, puis j'allais à 8 heures rejoindre l'école française jusqu'à 5 heures de l'après-midi et enfin c'était de nouveau al kouttab jusqu'à 8 heures du soir
- Quel était le programme d'enseignement à al kouttab?
Le Coran bien sûr et on apprenait également à écrire l'arabe. J'y suis resté pas mal de temps, mais vu la difficulté de suivre et de concilier de front l'école coranique et l'école française je n'ai pas pu continuer.
- Et après le primaire ?
Je me suis rendu à Tlemcen qui fut pendant un certain temps la capitale de l'Algérie. A cette époque-là, Tlemcen était la capitale de l'Ouest algérien, renommée pour la science et la culture de ses habitants. J'y suis demeuré cinq ou six ans, jusqu'à ce qu'un événement important vienne changer le cours de ma vie : la formation en 1937 du parti du peuple. Ses premiers dirigeants et membres étaient des amis et des camarades de lycée. Le premier secrétaire général du parti, Benosman, était à la fois mon ami et mon camarade de lycée.
Cet événement a coïncidé avec un grave incident qui se produisit à l'intérieur du lycée. On en était à l'étude des religions et notre professeur marquait une nette partialité pour le christianisme. Arrivé à l'étude de l'Islam, il se permit de traiter le Prophète "d'imposteur" (dajjal). Textuellement... Aussitôt j'ai ressenti la brûlure d'une profonde blessure en moi. J'avais quatorze ans.
C'est pourquoi, lorsque quatre ans plus tard s'est formé le Parti du peuple, au tréfonds de moi-même, une décision avait déjà germé : refuser de poursuivre l'apprentissage de la culture des autres ; rechercher ma propre identité.
C'est ainsi que je pris la décision d'abandonner mes études alors que j'avais déjà franchi des barrières difficilement franchissables pour un Algérien. II ne me restait que deux ou trois ans pour obtenir mon diplôme et accéder à un poste d'enseignant. Mais ce sentiment de refus était plus fort que tout.
- Pendant cette période, y avait-il d'autres traits caractéristiques de votre enfance, de votre jeunesse ?
Je jouais au football. A vingt ans, j'étais membre de la meilleure équipe française (l'Olympique de Marseille) qui détenait à l'époque la Coupe de France. C'était sans doute l'une des meilleures équipes d'Europe.
14 - Pouvez-vous nous parler de votre père et de votre mère?
Mon père est originaire de la ville de Marrakech du arch des "Ouled Sidi Rahal". II a émigré en Algérie dans des circonstances particulières. En effet, dans sa jeunesse, en raison de l'insécurité qui régnait dans la région de Marrakech, des bandits et des voleurs de grand chemin menaçaient le bétail en particulier, les membres de chaque famille se relayaient la nuit pour assurer la garde de leurs biens. Une nuit, alors que mon oncle était de garde, notre maison fut attaquée par des hommes armés. Mon oncle ouvrit le feu et tua l'un des voleurs.
La vendetta étant monnaie courante à l'époque (aujourd'hui encore d'ailleurs), la famille préféra éloigner mon oncle et l'envoya faire le pélerinage à La Mecque. Il partit cette année là et sur le chemin du retour tout comme Hadja Maghnia avant lui, il fut conquis par le village de Maghnia et s'y installa.
Cependant la vendetta ne touche pas uniquement le meurtrier mais tous les membres mâles de sa famille. La famille n'était pas tranquille quant au sort des deux frères de mon oncle : mon père et son frère cadet. Elle les envoya rejoindre mon oncle à Maghnia où ils s'installèrent à leur tour.
Mon père était un homme très pieux, membre d'une zaouia, de même que tous les membres de sa famille. Il appartenait à une confrérie mystique (la tariqa soufia).
Je me souviens que dans mon jeune âge, je me réveillais tous les jours à 4 heures du matin, au bruit que faisaient les membres de ma famille, tous levés déjà à l'appel de la prière de l'aube. Mon père faisait toutes ses prières à la mosquée alors que les autres, les femmes en particulier, priaient à la maison. J'ai un souvenir très vif de la femme de mon oncle Larb:, le frère cadet de mon père. Cette tante, décédée à cent quarante ans, avait jeuné un jour sur trois pendant des dizaines d'années!
- Quel est le nom de la tariqa suivie par votre famille ?
La moukahliya. C'est un mot dérivé de moukahla ou barouda en arabe (poudre ou fusil). Les membres de cette confrérie se réunissaient tous les ans pendant une saison particulière pour s'exercer avec des fusils, soit pour les fêtes, soit pour s'entrainer; ils tiraient de vrais coups de feu. D'où le nom de la tariqa.
15 Cette tariqa est née à Fès. Elle fut dirigée par un cheikh, enseignant à l'université de Qarawiyin, considérée comme une des premières universités dans le monde, sinon la première.
- Ainsi, c'est le fusil qui caractérise la moukahliya ?
La caractéristique la plus profonde est le ribat, c'est-à-dire le jihad. Jusqu'à cette époque, la tradition du ribat était assez répandue chez nous.
J'ai grandi au son des poèmes religieux et des épopées glorifiant le ribat, le jihad et le courage.
- Vos souvenirs concernant votre mère ?
Ma mère était la cousine germaine de mon père. Elle fut la seule à effectuer le voyage de Marrakech à Maghnia par la mer, du fait de l'insécurité des routes à cette époque. Elle rejoignit mon père à Maghnia vers la fin du XIXe siècle et depuis nous avons toujours habité à Maghnia.
Il est vrai que mon père était un homme solide, mais ma mère était encore plus solide. Elle était de petite taille mais c'était une grande dame. Elle connaissait bien le Coran de même que les chants religieux et épiques. Elle ne comprenait peut-être pas tout le sens du Coran mais elle en avait quand même une profonde connaissance intuitive.
- Dans l'enseignement primaire, étudiez-vous autre chose que le Coran ? La poésie arabe ancienne par exemple?
Non ... Cela était inexistant.
- L'apprentissage de l'arabe n'était-il pas interdit par la France?
Interdit, non, découragé, oui ; les écoles étaient françaises, avec un programme français. C'est ce qui a poussé certains à apprendre le Coran. En réaction à la propagande française dans le domaine culturel, s'est répandu chez nous le phénomène des "porteurs de Coran" : ceux qui connaissent tout le Coran par coeur. Il y avait des tribus entières dont tous les membres connaissaient le Coran par coeur comme par exemple les Ouled Ziri qui, fuyant l'oppression française, se réfugièrent dans les montagnes où ils demeurent jusqu'à ce jour "porteurs du Coran".
16 - Dans le primaire, vous sentiez-vous différent des Français ? Comment se manifestait ce sentiment ?
Nous étions conscients d'être Algériens et eux Français ; nous musulmans et eux infidèles.
Je devais avoir six ans environ lorsqu'ont éclaté la révolte de l'émir Abd-el Krim al-Khattabi ainsi que la guerre contre les Français et les Espagnols. Je n'ai pas oublié la chanson que l'on fredonnait à l'époque
"Espagne maudite
Le Rif a fait bonne oeuvre
Soixante-dix généraux
Sont morts en une matinée."
Je me souviens que notre joie était d'autant plus grande que le nombre de victimes était plus élevé dans les rangs des ennemis. Pourtant, nous savions bien que certains de nos proches, enrôlés de force par les Français, combattaient avec eux.
Ces souvenirs que je porte en moi depuis soixante ans, resteront vivants en moi jusqu'à ma mort.
Nous souhaitions la victoire de l'émir Abd-el Krim, quitte à perdre ceux des proches qui étaient avec les Français. Dans le village, enfants, nous répétions cette chanson et d'autres encore. Où les enfants avaient-ils appris tout cela ? Dans leur maison bien entendu. C'est-à-dire que tout le monde, grands et petits, avaient le même souhait. Quant à moi, je me souviens de l'enfant de six ans qui ressentait de la joie chaque fois qu'un malheur s'abattait sur ceux qu'à cet âge déjà je considérais comme des colonialistes occupant mon pays.
- A l'école secondaire n'avez-vous pas manifesté un penchant littéraire ou artistique ?
Non, jamais. Je n'ai pas poursuivi mes études en arabe. Quant au français, je n'ai eu aucune passion littéraire ou artistique, mise à part la lecture.
- Parlez-nous de vos premières lectures sérieuses à cet âge là ?
L'un des premiers livres intéressants que j'ai eu l'occasion de lire était l'Histoire des Arabes de Gustave Le Bon. Il était interdit et si l'on découvrait quelqu'un en possession de ce livre, il
17 risquait au moins deux ans de prison. J'ai lu ce livre alors que planait sur nos têtes l'ombre d'une loi ignoble : le code de l'indigénat qui imposait aux Algériens la responsabilité collective. Si le livre avait été découvert chez moi, j'étais bon pour au moins deux années de prison. Mais je l'ai lu !.. J'ai lu aussi d'autres livres dont certains étaient publiés en France sur l'émir Abd el-kader, interdits en Algérie. Ils me parvenaient par des filières compliquées d'intermédiaires. Un frère qui les avait obtenus d'un autre, qui à son tour les avait empruntés à un autre qui les tenait d'un ami qui... Le livre de Gustave Le Bon, je l'avais reçu d'un ami qui était le fils du traducteur officiel de l'administration française de la région. Plus tard, cet ami et sa soeur rejoindront le maquis pour prendre part à la révolution.
- Revenons à votre vie. Après avoir quitté l'école secondaire à Tlemcen, qu'avez-vous fait ?
J'ai passé un ou deux ans dans mon village, après quoi, j'ai été appelé au service militaire où je suis resté jusqu'en 1940. La seconde guerre mondiale avait déjà commencé.
- Le service militaire a-t-il été pour vous l'occasion d'avoir une grande expérience sur les plans culturel et humain ?
D'abord, il m'a permis de lire et d'acquérir plus de livres. C'est pendant cette période que s'est développée en moi la passion de la lecture. J'avais une bonne connaissance du français. En fait, dès l'école primaire puis secondaire, j'ai été d'un très bon niveau dans deux matières : la langue française et les mathématiques. Et même plus tard, j'ai toujours continué à me perfectionner.
J'ai beaucoup lu à cet âge là et j'ai commencé à apprécier les lectures politiques. C'est ainsi que j'ai lu l'oeuvre complète de l'émir Chakib Arslan dans sa traduction française. J'ai, en outre, commencé à m'intéresser à la littérature et j'ai dévoré des dizaines de romans.
Mais le plus important à cette époque là fut le développement d'une prise de conscience politique. Les chants et les chansons que nous fredonnions à l'époque - chants patriotiques qui nous parvenaient du Machreq, tels Mawtini (Ma patrie) ou Biladi, Biladi (Mon pays) - ont joué aussi un rôle important.
18 - Vous souvenez-vous des romans que vous avez lus ?
C'était des classiques de la littérature française. J'ai lu par exemple toute l'oeuvre de Victor Hugo. J'ai lu une grande partie de la littérature française : romans, poésie, prose... J'ai lu Lamartine, Verlaine, Rimbaud, etc.
- N'avez-vous pas essayé d'écrire à ce moment là, n'avez-vous pas ressenti le désir de la littérature ?
Je n'ai jamais essayé car depuis mon enfance j'éprouve une certaine difficulté à rédiger. Aujourd'hui cela n'a pas changé. Il m'arrive quelquefois d'être obligé d'écrire, je dois alors faire de grands efforts pour en venir à bout. Je ne suis pas de ceux qui écrivent avec facilité. C'est pour moi une opération laborieuse.
- Où avez-vous effectué votre service militaire dans l'armée française ?
Je l'ai d'abord commencé en France où j'ai participé à la guerre. Après la victoire j'ai été décoré. Lorsque les Allemands ont occupé la France, je suis retourné en Algérie jusqu'au débarquement des alliés en Afrique du Nord et la formation d'une nouvelle armée. Cette armée était composée de Tunisiens, d'Algériens et de Marocains : elle comptait 150 000 à 200 000 soldats. Alors, je suis parti avec eux pour l'Italie.
- C'est là que vous avez appris à parler italien ?
Oui, grâce à mon contact quotidien avec le peuple italien, notamment les paysans. J'ai toujours éprouvé de l'intérêt pour les langues et j'ai une certaine facilité à les apprendre. Bien entendu, je parle de la lecture, de l'écriture et de la conversation courante, pas de la langue scientifique ou philosophique. C'est ainsi que j'ai appris l'espagnol pendant mes séjours dans les prisons françaises avec beaucoup de facilité je dois dire car j'avais eu l'occasion de rencontrer de nombreux Espagnols qui vivaient dans l'Ouest algérien.
- Lorsque vous étiez dans l'armée, étiez-vous en contact avec le Parti du peuple algérien ?
Oui... Et je suivais avec attention les événements qui se déroulaient en Algérie et même dans le monde entier. Lorsque
19 j'ai connu la nouvelle des massacres du Constantinois en mai 1945 alors que les Algériens manifestaient pour l'indépendance, après la défaite de l'Allemagne, et que la répression de la France fut terrible, j'ai vite tiré mes conclusions quant à la possibilité d'obtenir notre indépendance par des moyens pacifiques.
Lorsque l'on m'a proposé de rester dans l'armée française en tant qu'officier, j'ai donc refusé et je l'ai quittée. Je voyais déjà alors le colonialisme sous son vrai jour et je savais qu'une seule solution s'imposait : l'indépendance.
- C'est bien à l'âge de dix-sept ans que vous vous êtes engagé dans le Parti du peuple algérien ?
A cet âge là mon engagement était intellectuel et affectif, mais je ne faisais pas partie d'une cellule. C'est à mon retour du service militaire en 1940 que j'ai eu de nouveaux contacts avec le parti. En 1945, lorsque j'ai définitivement quitté l'armée, j'en devins un membre actif. A cette époque, tous les dirigeants étaient détenus ou recherchés pour avoir participé aux manifestations de Mai 1945 que le parti avait lui-même organisées.
C'est dans le cadre de mon village natal que j'ai commencé mes activités militantes aux côtés d'un camarade, Abdel Aziz Baraka qui est mort ensuite de la fièvre typhoïde (que Dieu ait son âme).
- Le parti vous imposait-il certaines lectures ?
Le parti nous conseillait certaines lectures, des livres ou des articles et surtout le journal clandestin qu'il publiait. Certains livres étaient distribués aux membres du parti. La distribution variait selon les régions. Chez nous, l'Histoire des Arabes de Gustave Le Bon était considéré comme un livre de base. Tout cela se faisait dans la plus grande clandestinité et avec une très grande rigueur. Il y avait aussi le livre d'Emile Roche sur l'émir Abd elKader. Roche était un juif que l'on disait converti à l'Islam. Il a écrit par la suite un livre merveilleux sur l'Islam et sur le caractère et la révolte de l'émir.
20 - Etait-il Français ou Algérien ?
C'était un Français. C'était très probablement un espion français chargé de suivre l'émir Abd el-Kader. Quoiqu'il en soit, son livre est vraiment extraordinaire. Et, comme il se doit, il était interdit.
Il y en avait de nombreux autres qui circulaient clandestinement entre les membres du parti et qui allaient dans le sens de notre orientation. Il y avait par exemple des livres sur les révolutions de l'Irlande et du Mexique. Des études sur l'Egypte et sur le parti al-Wafd - le premier Wafd du temps de Saad Zaghloul.
Pendant la même période, j'ai eu l'occasion de lire Muhammad Abdou et Jamal al-Din al-Afghani, traduits en français. Ces livres m'avaient été offerts par le frère Muhammad Naccache, détenu aujourd'hui en Algérie. II était alors étudiant en médecine à Marseille et avait ramené ces livres en Algérie. C'est lors d'une de mes visites à Ouled Mimoun, sa région, qu'il me les a donnés. Par la suite, il est devenu le médecin responsable de la santé dans l'armée de libération, puis ministre de la Santé dans mon gouvernement.
- A cette époque, avez-vous participé d la rédaction du journal du Parti du peuple ?
Non. D'abord le journal était ultra-clandestin et donc seul un nombre très limité de membres avait l'occasion d'y écrire. Ensuite, comme je vous l'ai déjà dit, je n'ai aucun penchant pour la rédaction, je trouve cela pénible. Mais je n'en fais pas un complexe pour autant ! Je n'écris qu'en cas de besoin.
- Dans le parti, vous intéressiez-vous aux événements du Machrek ?
Nous vivions avec le Machrek, intensément, malgré l'absence totale d'informations. Nous étions avides de nouvelles en provenance de là-bas. Et bien sûr, nous nous sommes intéressés très tôt à la cause palestinienne. Le scoutisme était notre meilleur relais d'information.
21 - Etiez-vous scout ?
Oui, j'étais scout. Le scoutisme était une sorte d'école pour le parti, lui permettant de former ses membres et ses cadres. Là où le parti se trouvait, le scoutisme existait. En fait, le scoutisme était dirigé par le parti. Tous les jours, nous avions des entraînements scouts.
- Après votre démission de l'armée et votre engagement dans le parti, avez-vous exercé un métier ?
Non, je n'ai pas exercé de métier. Je me consacrais entièrement à mon activité militante au sein du parti à Maghnia, mon village natal. J'ai obtenu d'excellents résultats. Je suis ensuite devenu responsable. J'ai été nommé membre du comité central, puis j'ai quitté Maghnia pour Oran où j'ai assumé la responsabilité de l'ouest de l'Algérie. Six mois plus tard, je fus appelé à Alger pour exercer une activité centrale.
- Quand avez-vous été emprisonné pour la première fois ?
En 1950. Deux ans.
- Quelle était l'accusation portée contre vous ?
La formation d'une organisation secrète - l'OS (Organisation spéciale) - portant atteinte à la sécurité de l'Etat. Une telle accusation était passible de la peine capitale.
- L'organisation avait donc été découverte ?
Oui, mais on n'a arrêté qu'un nombre limité de membres et de cadres. L'organisation comptait 3 000 membres et seuls 300 ou 400 d'entre eux furent arrêtés. Les principaux cadres des régions ne furent pas découverts.
- Vous était-il permis de lire et d'écrire en prison ?
Oui et nous avions une activité intense. Activités sportives et culturelles. C'est en prison que nous nous sommes procurés les premiers romans arabes et que nous avons commencé à lire en arabe.
22 - Comment avez-vous appris l'arabe ?
En prison. Pour nous la prison était une véritable école, de patriotisme, de culture...
- Faisiez-vous des lectures de groupe ?
Certes, et nous organisions des débats après chaque lecture, de même que des conférences portant sur tous les domaines, notamment sur les origines de la guerre de libération et sur l'activité des militants en prison.
Nous organisions en outre des grèves de la faim. Je me souviens avoir fait trois fois la grève de la faim dont l'une a duré vingt-trois jours.
- Vous souvenez-vous des livres que vous avez lus en prison ?
Pas exactement, ils sont si nombreux... Mais je me souviens d'un livre que j'ai lu en prison en France qui m'a beaucoup marqué : La grande dissension de Taha Hussein, de même que Nahj al-balagha de l'Imam Ali. J'ai aussi commencé à lire alTabari (la Sira du Prophète). C'est pendant cette période que l'histoire a commencé à me passionner.
- Après votre évasion en 1952, vous êtes allé au Caire ?
Oui, je me suis encore plongé davantage dans l'action. Je n'avais pas une minute à consacrer à la lecture. Toutes mes forces et ma volonté étaient centrées jour et nuit sur la révolution... A tel point que je n'ai visité les pyramides que lorsque des amis français de passage au Caire m'ont obligé à les accompagner ! Je l'ai fait malgré moi, et cela a été la seule fois. Aujourd'hui encore, je ne connais ni Louxor, ni les musées, ni les belles choses à voir en Egypte. Qui d'entre nous pensaient à ces choses là ?
- Etait-ce un si grand luxe ?
Je ne pouvais pas. La visite de Louxor, par exemple, je la ressentais en quelque sorte comme un parjure. Je travaillais sans arrêt avec Fathi al-Dib, si bien que j'ai failli le tuer d'épuisement. Il fut atteint de thrombose. Sa femme qui était une respectable militante, courageuse et endurante, ne manquait pas de me dire
23 chaque fois qu'elle me voyait : "Ahmed, tu vas finir pas tuer Fathi, je t'en prie, ménage-le ! ". Nous étions liés en ce temps là par un lien révolutionnaire et pur entre la révolution de Juillet et celle de Novembre.
Je considère notre relation comme une véritable fraternité...
Je me souviens avoir visité al-Azhar une seule fois, et encore pas tout, seulement le quartier des étudiants algériens. En réalité, je ne connais pas bien le Caire, bien que j'y sois demeuré longtemps.
- Etait-ce pareil dans les autres villes arabes ?
Tout à fait pareil. Je ne peux prétendre connaître Tripoli (Libye) même si j'y ai vécu longtemps. Damas non plus où je me déplaçais en secret. Je suis allé à Bagdad mais je ne la connais pas. Il en va de même pour Beyrouth.
- Combien de fois vous êtes-vous rendu à Beyrouth ?
Dix fois peut-être, ou quinze ou vingt !.. Je passais à Beyrouth sans m'attarder, j'accomplissais ma tâche et je m'en allais.
- Lors de ces visites, n'étiez-vous pas reconnu ?
Non. Même ceux avec qui je travaillais ne me connaissaient pas. J'ai vécu deux ans en Libye sans que personne ne me connaisse. Habitant chez des gens.
- Vous souvenez-vous de l'adresse ?
Non, je ne m'en souviens plus.
- Quelle impression vous a fait Beyrouth ?
En toute franchise, je ne m'y sentais pas à l'aise. Elle augmentait ma fatigue. A Damas, je me sentais bien, de même qu'au Caire. A Bagdad, non...
C'est à Tripoli que je me sentais le mieux. A l'époque, c'était une petite ville calme où on était à l'abri des regards. Je m'y suis
24 bien adapté. Je portais l'habit local, je parlais leur dialecte, si bien que les gens ordinaires ne pouvaient découvrir mon identité.
- Quand avez-vous rencontré Gamal Abdel Nasser pour la première fois ? Et quelles impressions vous a-il fait a cette première rencontre ?
Tout au début, je crois. Le frère Fathi al-Dib doit s'en souvenir mieux que moi. C'était probablement en 1954.
Sur les plans arabe et mondial, il n'était pas encore connu comme le dirigeant de la révolution de Juillet, il était plutôt considéré comme l'une des trois personnalités importantes. Avéc moi, c'était autre chose. Dès les premiers instants, quelque chose s'est passé entre nous deux. J'avais un problème de communication à cause de la langue. Le sujet que nous devions débattre réclamait du temps et mon arabe ne m'était pas d'un grand secours. Comment faire ? En dépit de cela, nous nous sommes compris dès les premiers instants... C'est comme si nos coeurs, au-delà de la langue, avaient communiqué ! Alors est née notre amitié, fondée sur une entente fraternelle et révolutionnaire totale.
- Comment avez-vous résolu ce problème de langue avec Nasser ?
J'essayais de parler en arabe.
- Il connaissait l'anglais, lui...
La première fois, j'ai parlé en français puis après en arabe, et depuis, j'ai toujours essayé de m'exprimer en arabe. Il faut dire que le Caire m'a beaucoup aidé en vérité pour la langue arabe. J'y ai pris l'habitude de lire des livres en arabe. Je m'accompagnais toujours d'un dictionnaire que je garde précieusement aujourd'hui encore. Depuis mon séjour dans cette ville, c'en est fini de mon problème avec l'arabe ainsi que de ce sentiment d'avoir été privé de ma langue maternelle.
- Avez-vous ressenti la douleur qu'a exprimée (en français) le poète algérien Malek Haddad ?
Ah oui !.. Elle n'a cessé de me tourmenter même après mon mariage. Ma femme la partage avec moi. C'est pour cette raison
25 qu'en dépit des difficultés que cela a posées, nous avons décidé d'envoyer nos filles, dès leur plus jeune âge, dans une école arabe plutôt que dans des écoles françaises ou espagnoles. Aujourd'hui, grâce à Dieu, elles étudient en arabe, elles sont totalement arabisées. Mais nous aurions préféré qu'elles restent analphabètes plutôt qu'instruites dans une langue étrangère. Elles ont maintenant un bon niveau d'arabe. Nous pensons ainsi, ma femme et moi, avoir compensé ce manque dont nous avons souffert.
- Mais cela est du passé, alors, pourquoi ce sentiment ?
Parce que pendant trente ans, j'étais incapable de lire dans ma langue maternelle. Cela est une blessure irrécupérable !
- N'aviez-vous pas avec Nasser des discussions de toutes natures, portant aussi bien sur des questions culturelles ou historiques que politiques ?
Dieu que nous avons discuté ! Notre dialogue n'a jamais cessé, même après l'indépendance de l'Algérie. Ce n'est que le coup d'Etat de Juin 1965 qui y a mis fin.
- Quand avez-vous été arrêté pour la deuxième fois ?
Pendant la révolution, lorsque notre avion fut détourné.
- Combien de temps êtes-vous resté en prison ?
Cinq ans au cours desquels nous avons été déplacés entre quatre prisons. Nous avons été isolés pendant de longs mois. Nous ne voyions personne, pas même la lumière du jour. Puis, on nous a transférés dans une autre partie de la prison où nous étions ensemble pendant la journée et séparés la nuit.
- Aviez-vous la possibilité de lire en prison ?
Je n'ai jamais cessé de lire. Dans toutes les prisons où je suis passé, ma revendication primordiale a toujours été d'avoir la possibilité de lire. Je lisais évidemment le plus possible en arabe, de nombreux livres ainsi que les revues politiques entre autres la revue égyptienne al-musawwar.
26 - Après la victoire de la révolution, vous êtes devenu président de la République, vous étiez, avec Nasser, le premier président arabe qui lisait...
Je ne le prétends pas... il est vrai que la lecture m'a toujours été très chère et que je ne peux pas m'en passer, mais... non, je ne prétends pas cela...
- C'est nous qui le prétendons, comment trouviez-vous le temps de lire ?
Je lisais quotidiennement malgré toutes mes occupations. Je dormais seulement quatre heures par nuit. Cela a duré deux ans. A l'époque, je lisais les grands livres politiques. Mes lectures portaient aussi sur la sociologie, l'histoire des révolutions, sur les partis politiques, sur l'origine et les expériences du pouvoir, la législation politique et le droit. Je lisais ce qui se rapportait à mes nouvelles tâches. J'avais instauré un service spécial rattaché à la présidence dont la fonction principale était de me fournir des livres. Il y avait un secrétaire qui me présentait des listes de livres, surtout les nouveautés, et je choisissais ce qui m'intéressait. De même pour les journaux et les revues.
- N'avez-vous pas échangé des livres avec Nasser ?
C'était une des caractéristiques de notre amitié. Il m'envoyait sans cesse des livres. J'en ai reçu de lui un nombre important, de même que des disques d'Oum Kalsoum. Voilà en quoi consistaient nos cadeaux. Ajoutons aussi des films.
- Pendant cette période, vous avez rencontré des intellectuels arabes, africains et occidentaux, ainsi que des hommes de lettres et des journalistes ?
Je n'ai pas rencontré beaucoup d'intellectuels arabes en dehors de tous les grands journalistes de l'époque. Quant aux Occidentaux, j'en ai rencontré plusieurs, par exemple Garaudy qui se rendait souvent en Algérie
Parmi les Africains, j'ai eu des contacts avec de nombreux intellectuels, journalistes et hommes politiques avec lesquels j'ai beaucoup discuté. Je garde plus particulièrement le souvenir de Che Guevara avec qui j'étais très lié. Nous avons discuté des mois durant. Andrade, d'Angola, Cabral, de la Guinée Bissau. Il y a
27 aussi Castro et Modibo Keita. De même que les dirigeants des pays de l'Est : Brejnev, Khrouchtchev, Jikov, Chou En Laï... et d'autres encore.
- Lisiez-vous les ouvrages marxistes à cette époque ?
J'ai toujours lu des ouvrages marxistes. J'ai commencé au début de la révolution et j'ai continué. J'étudiais sans cesse le marxisme. Il faut dire que c'est un terrain fertile. Je l'ai étudié, puis ensuite j'ai lu les principales études qui ont traité de ses lacunes sur le plan économique. J'ai lu, par exemple, Samir Amin ainsi que les auteurs européens et soviétiques qui ont tenté de combler les lacunes, notamment relativement aux problèmes du tiers monde, tels A. G. Frank, Celso Furtado. La première thèse voulait que les pays sous-développés passent par la phase du colonialisme pour se moderniser et que s'y crée une activité industrielle, puis une classe ouvrière. Comme on le voit, c'est une thèse dangereuse qui n'a rien de scientifique car elle considère le colonialisme comme une étape progressive qui prépare le terrain au marxisme. Marx lui-même a insisté là-dessus, notamment en ce qui concerne l'Algérie et l'Inde. Samir Amin, Baran et d'autres ont essayé de résoudre ce problème.
- Le marxisme ne vous a-t-il pas influencé alors ?
Je l'ai beaucoup étudié, mais au fond il ne m'a jamais influencé, même dans les pires situations. Je ne l'ai jamais adopté en tant que philosophie. Au contraire, ma connaissance du marxisme n'a fait que renforcer mon lien avec l'arabisme et l'Islam. Je n'ajouterai rien à cela. Ceux qui me connaissent le savent très bien. Même les communistes dans nos pays qui, pour la plupart, sont en désaccord avec moi vous diront : "Ahmed a toujours été comme ça."
- Qu'avez-vous discuté avec Che Guevara ?
Nous avons beaucoup parlé d'autogestion. Pour lui, l'autogestion n'était pas une méthode saine. Mais nous avons beaucoup dialogué ensemble, avec chaleur et fraternité. Guevara était très humain et honnête. Je pense que c'était là ses plus grandes qualités.
28 - Guévara donnait-il l'impression d'être un romantique ?
Non, pas du tout... pas du tout. Il vous donnait une impression de sérieux, d'absolu et de rareté. Il croyait en l'homme avant tout. C'était un des traits saillants de sa personnalité. Peut-être que ceux qui le rencontraient voyaient-ils avant tout ce trait de sa personnalité et, ne sachant pas le décrire en profondeur, parlaient de romantisme. A mon avis, il était d'un sérieux infini. Dans ce qu'il disait et dans ce qu'il faisait, c'était un véritable révolutionnaire. Si l'on veut, son romantisme, c'était ce penchant humaniste très fort chez lui.
C'était un homme vrai qui croyait en l'homme. Je ne partageais certes pas toutes ses opinions mais il n'empêche que c'était un homme unique en son genre au sein du monde socialiste.
- Avec qui d'autres aviez-vous des discussions intéressantes dont vous gardez le souvenir ?
Avec Khrouchtchev, j'avais eu une discussion ardente et fraternelle à la fois... à Moscou, après qu'il m'ait provoqué en public et traité de réactionnaire parce que je ne buvais pas d'alcool !
Après quoi, je ne sais si je vous l'ai raconté, il m'a emmené avec lui au bord de la mer Noire où nous avons passé trois jours, seuls, en tête à tête. Alors s'est établie entre nous une belle et solide amitié. Il m'a raconté énormément de choses. Allant jusqu'à me confier des secrets importants concernant ses relations avec Staline : leurs rapports pendant la guerre mondiale et ce qui se passait dans les coulisses du pouvoir. Il m'a raconté, entre autres, comment Staline avait réagi après la victoire des forces nazies et comment il est resté ivre-mort et inconscient pendant quinze jours, ne cessant de répéter : "l'Etat s'écroule... tout est fini... fini le communisme."
Khrouchtchev me dit: 'Nous nous sommes réunis pour aller le voir et nous lui avons dit : Camarade Staline, impossible de continuer ainsi. Il nous faut affronter le danger et prendre position."
Le reste de l'anecdote figure dans le communiqué publié par le XXe congrès du Parti en 1957.
29 Khrouchtchev me révéla aussi comment les réunions du bureau politique étaient l'occasion de festins pantagruéliques, les séances de travail se tenant autour de la table où sans discontinuer ils mangeaient, buvaient, travaillaient, puis buvaient, mangeaient et buvaient encore et encore...
Khrouchtchev était déjà passablement ivre alors qu'il me racontait ces anecdotes. Me voyant embarrassé, il prit conscience de son état et me dit : "Je vous ai blamé de ne pas boire, mais aujourd'hui je vous dis que vous avez raison. J'espère que vous continuerez dans cette voie, vous et vos collègues. C'est moi qui ai tort, non pas vous." Puis, il ajouta : "Vous me voyez... je suis responsable de la moitié de la terre et je détiens de très grandes responsabilités. J'aurais mieux fâit de rester sobre et de ne pas arriver d l'état dans lequel vous me voyez, car je mets en danger l'Etat et le monde entier."
La même chose s'est répétée avec Tito.
- Comment cela s'est-il passé avec Tito ?
Tito était connu pour être un grand buveur. Le dernier jour de l'une de mes visites, alors que j'avais passé avec lui une semaine entière, le responsable du protocole - personnalité de première importance chez eux - m'aborda. Il était accompagné du médecin de Tito. Ils me prirent à part et me dirent dans un français très correct : "Nous vous remercions pour votre séjour avec le Président Tito car sa santé s'est améliorée et sa tension est devenue normale car avec vous il ne boit pas, par respect. Nous aimerions vous voir séjourner souvent en Yougoslavie'.
- N'avez-vous jamais bu ou fumé ?
Jamais de ma vie. Cela n'a pas été difficile. Je suis issu d'une famille très pieuse, puis j'ai vécu dans un milieu sportif et ensuite dans le milieu du parti qui nous interdisait l'alcool. Cette rigueur morale s'inscrivait dans la ligne de conduite du parti.
- Khrouchtchev était-il un homme cultivé ?
Je ne le pense pas. Ce n'était pas un homme très cultivé mais il avait une spontanéité rare qui vous charmait très vite. Une spontanéité que l'on pouvait difficilement trouver ailleurs, de
30 même qu'une totale franchise. Tito ne donnait pas l'impression d'être cultivé, mais il l'était plus que Khrouchtchev.
- Castro ?
Oui, Castro est cultivé, vraiment cultivé... mais si vous voulez savoir quel est l'homme vraiment cultivé que j'ai rencontré à cette époque là, il s'agit sans conteste de N'Krumah. N'Krumah possédait une culture immense, pas au sens académique du terme, non, c'était un grand penseur. Modibo Keita aussi était un grand penseur.
- Et sur le plan de la méthodologie ?
Guevara. Il lisait beaucoup et discutait beaucoup.
- Avez-vous eu l'occasion de rencontrer des intellectuels au comité central ou au bureau politique du parti communiste de l'Union soviétique ?
J'en ai rencontré quelques uns. J'ai rencontré Souslov, mais on n'a pas vraiment discuté. Le vrai dialogue, je l'ai eu avec Khrouchtchev qui ne mâchait pas ses mots et ne craignait pas d'aborder les sujets les plus épineux.
- Nous atteignons, M. le Président, la période de votre détention après le coup d'Etat du 19 juin 1965...
Je crois avoir assez parlé de cette expérience et je ne vois pas bien ce que vous voudriez savoir de plus.
- Sur le plan culturel, tous ceux qui vous ont connu disent que l'expérience de la prison vous a permis de mûrir votre pensée et de l'approfondir ?
Je trouve cela normal, vu la durée de ma détention... quinze ans... que j'ai mis à profit pour lire, penser, méditer, travailler. Dès le début, je me suis rendu compte que la seule possibilité de m'en sortir était de pouvoir accéder aux informations de l'extérieur sur l'extérieur, qu'elles soient algériennes, arabes ou internationales... Comment suivre l'actualité mondiale ? D'autre part, comment me procurer des livres. Ce souhait s'est réalisé. C'est ainsi que je me suis mis à l'étude tout au long de ces quinze années de prison.
31 - Aviez -vous la radio ou la télévision ?
Oui, je les avais.
- Est-ce que vous receviez régulièrement des livres ?
Oui, à part la première année où j'étais privé de tout. Je dois dire que le colonel responsable de la région où se trouvait mon lieu de détention m'a beaucoup aidé. Il a pu me procurer des livres, dont certains directement d'Egypte, par le truchement de ses collègues du contingent militaire algérien envoyé au lendemain de la guerre de 1967. C'est ainsi que j'ai reçu, par exemple, l'oeuvre complète de l'imam Chafii, celle de l'imam Mouslim, d'al-Kortobi... Ce colonel me fournissait tous ces livres gratuitement, car, personnellement, je ne possédais rien !
- Tous ces livres étaient-ils islamiques ?
Non, pas tous.
- Alors, vous n'avez pas été trop gêné au cours de votre captivité ?
Je dois dire que l'on ne m'a pas humilié. Chez nous, ce n'est pas comme en Irak, par exemple... II y eut des moments difficiles... En réalité, j'aimerais éviter c;. sujet, il est peu honorable pour mon pays !
Certains amis à l'étranger, en particulier français, m'envoyaient ce qu'ils pouvaient comme livres. J'ai eu pratiquement tous les livres que je souhaitais, sauf, évidemment, ceux qui étaient interdits en Algérie.
Je dois dire que le colonel Belhouchet m'a facilité les choses de ce point de vue là, de même que l'officier qui l'avait précédé, Saïd Benabid, dont on a dit qu'il s'était suicidé alors que, probablement, il a été assassiné...
Quand je me suis marié, à chaque visite, ma femme m'apportait des livres.
- Suiviez-vous l'actualité nationale et internationale ?
Oui, régulièrement... sans interruption.
32 - Vous était-il possible d'avoir des correspondances avec l'extérieur ?
Non, évidemment.
- Vos idées sur le plan économique ne sont plus ce qu'elles étaient avant 1965 ; elles ont presque totalement changé ?
Oui, elles ont beaucoup évolué ; il faut dire que, du point de vue historique, les premières critiques des modèles socialistes et marxistes ne datent que de ces quinze dernières années.
Avant 1965, on ne connaissait encore ni Samir Amin, ni Celso Furtado et d'autres encore.
- Et en philosophie par exemple, qu'avez-vous lu ?
J'ai lu un peu moins de livres de philosophie... mais j'ai tout de même lu les philosophes arabes comme al-Ghazali, Ibn Rochd, Ibn Toufayl et d'autres, en français j'ai lu entre autres Hegel, Kant, Foucault...
- Est-ce que les lectures islamiques en constituaient la majeure partie ?
J'ai beaucoup lu les penseurs islamiques mais pas exclusivement.
- Comment organisiez-vous vos lectures ?
Je réservais une certaine période à chaque thème... par exemple, six mois consacrés exclusivement à étudier l'économie ou l'Islam... puis un an à l'histoire, etc. Je lisais trois ou quatre livres en même temps... Et quand la période réservée à un thème touchait à sa fin et que je sentais que j'avais "fait le plein", je révisais et je méditais sur tout ce que j'avais lu, je revoyais mes notes. Ma façon de lire reste toujours très disciplinée ; je prends beaucoup de notes, je lis un livre le matin, un ou deux autres l'après-midi et un autre tout-à-fait différent le soir.
- Avez-vous appris des langues étrangères durant votre détention ?
Au début, je réservais chaque jour une heure ou une heure et demie à étudier les langues, et, j'ai en effet progressé. Mais j'y ai renoncé car, à mon avis, approfondir ses connaissances dans une
33 langue exige du temps et une disponibilité d'esprit que je n'avais pas, vu toutes les autres questions qu'il me fallait étudier.
- Quelles langues parlez-vous ?
L'arabe bien sûr, le français que je maîtrise bien, l'espagnol que je peux lire dans le texte, même ardu. Il y a aussi, mais beaucoup moins bien l'italien, l'anglais et l'allemand.
- Gardiez-vous tout le temps avec vous le Coran ?
Ah ! C'est le seul livre dont je ne me suis jamais départi un seul moment... et je le lisais chaque jour. Il y a eu un temps où je le connaissais par coeur.
- Est-ce que vous avez lu de la littérature ?
Oui, beaucoup. Egalement de la poésie, aussi bien en français qu'en arabe. J'ai lu aussi des pièces de théâtre.
- Najib Mahfouz, par exemple ?
Ah ! Bien sûr, j'ai lu toute son oeuvre. Najib Mahfouz possède incontestablement une grande capacité créative du point de vue de la forme... Mais en ce qui concerne le contenu, il se présente comme un libéral réactionnaire, pour moi du moins, sa critique du nassérisme se situe dans cette perspective et n'est pas du tout pertinente. Je le dis sans parti pris pour le nassérisme.
- Que pensez-vous du rapport entre science et religion... ou entre la religion et la vie dans son oeuvre ?
Il n'a pas su poser le problème dans des termes adéquats. L'aspect littéraire l'emporte sur l'aspect philosophique... L'affirmation de l'art pour l'art le conduit dans une impasse... II n'est ni le premier, ni le dernier d'ailleurs...
- Est-ce que vous connaissez l'oeuvre de Tawfik al Hakim ?
J'ai lu une grande partie de son oeuvre... ainsi que celles d'autres romanciers égyptiens et j'en pense la même chose que pour Najib Mahfouz. Je préfère Youssef Idriss.
34 - Du point de vue du contenu ?
Oui. J'ai lu aussi Nizar Kabbani, notamment les derniers écrits sur Beyrouth...
- Et la poésie palestinienne ?
J'aime beaucoup Mahmoud Darwish et Samih al Kassem qui ont apporté un souffle nouveau à la poésie arabe.
- Et la littérature algérienne ?
Je connais bien la littérature algérienne, notamment francophone que j'avais lue avant même la révolution algérienne.
- Vous voulez parler de Mohammed Dib et de sa trilogie ?
Oui, Mohammed Dib et cette fameuse trilogie dont l'action se déroule à Tlemcen où j'ai passé une partie de mon enfance et ma jeunesse.
- On peut dire qu'il a prédit le déclenchement de la révolution, comment expliquez-vous cela ?
C'est là sa qualité et sa profondeur : Dib est un authentique écrivain algérien dont le lien'avec son peuple était puissant... ce qui lui a facilité la découverte de l'âme de la révolution et lui a permis de saisir certains de ses lieux à Tlemcen.
- Laquelle des deux trilogies préférez-vous, celle de Dib ou celle de Najib Mahfouz ?
Je préfère celle de Dib car elle fait pressentir la révolution à venir, alors que la trilogie de Mahfouz n'est venue qu'après le déclenchement de la révolution de 1919. Je pense qu'en cela la littérature algérienne d'expression française est qualitativement supérieure à celle du Machrek.
- A qui pensez-vous à part Dib ?
Je pense à tous, Mohammed Dib, Kateb Yacine, Malek Haddad ... Les écrivains français eux-mêmes reconnaissent leur valeur. C'est ce qu'a dit Albert Camus, par exemple.
- Avez-vous lu Camus ?
Je l'ai lu comme beaucoup d'autres...
35 - Et Sartre, que pensez-vous de lui ?
Sartre se place en réaction contre le déterminisme marxiste... son espoir était de dépasser le dogmatisme mécaniste institué par le marxisme et qui a eu des conséquences néfastes sur le plan humain. Sartre, avec Heidegger et d'autres, a essayé de dépasser ce déterminisme mais cette tentative n'a pas été assez radicale et s'est limitée à de simples critiques partielles, d'où son insuffisance.
J'ai fait aussi quelques incursions dans la pensée anglaise. C'est cependant la pensée allemande qui a retenu mon attention car l'Allemagne est le pays de la philosophie par excellence. J'aime également beaucoup la littérature espagnole. J'ai lu par exemple Garcia Lorca, une fois en français, une fois en espagnol...
J'aime aussi la littérature latino-américaine, notamment Gabriel Garcia Marquez dont j'ai fini de lire dernièrement l'oeuvre complète. Maintenant, je suis en train de lire Cela, écrivain et penseur espagnol que j'avais lu il y a plus de vingt ans et dont je tiens l'oeuvre pour très importante.
- Vous aimez la langue espagnole ?
Oui, c'est une très belle langue dont la sensibilité et la musicalité sont assez proches de celles de la langue arabe.
- C'est l'héritage arabe de cette langue ?
Le tiers du lexique espagnol est d'origine arabe...
- Je remarque que la musique a une place importante pour vous?
Vous seriez sûrement étonné si je vous disais que l'une des choses qui a la plus grande et la plus profonde influence sur moi, c'est la musique... Notamment sur ma sensibilité nationaliste et patriotique algérienne et arabe. Nos premiers contacts avec le Machrek l'ont été à travers la musique et les chansons, notamment de Mohammed Abdelwahab et Sayyid Darwish. Abdelwahab a contribué à la prise de conscience et à l'amour de la liberté chez nous, Sayyid Darwish aussi, mais dans une courte durée, contrairement à Abdelwahab... A tel point que certaines
36 de ses chansons ont joué un rôle assez singulier... je pense à la chanson Ahib icht el Horria (j'aime vivre la liberté).
Cette chanson a eu dans les années trente un vif succès en Algérie... Elle était chantée partout, dans les villes et les campagnes, dans chaque fête, dans chaque mariage... Elle a joué un rôle important et elle a eu une influence qu'un non-algérien, notamment les Arabes du Machrek, ne peuvent pas imaginer.
- Oum Kalthoum, n'a-t-elle pas joué aussi ce rôle ?
C'est une grande chanteuse mais Abdelwahab grâce à cette chanson avait chez nous une popularité plus grande... et quand je l'ai rencontré, après l'indépendance, je n'ai pas manqué de lui dire.
Farid el Atrache avait lui aussi une grande popularité, mais sans commune mesure avec celle d'Abdelwahab.
- Vous êtes du pays du mouwashah... Ne pensez-vous pas que ce style a joué un rôle dans la sauvegarde de la musique et de la langue arabe ?
Historiquement, il a joué un grand rôle mais il n'était pas très répandu dans les villages, et surtout, il n'avait pas sur les Algériens l'impact d'un Abdelwahab, d'Oum Kalthoum ou de Sayyid Darwish.
Le mouwashah, d'origine andalouse était strictement localisé dans ces villes prestigieuses que sont Constantine, Tlemcen et Alger... Abdelwahab avait un impact plus populaire que le mouwashah et était plus accessible aux masses, et c'est toujours valable.
Je crois que le mouwashah a besoin d'être revu, afin d'être plus accessible, mieux perçu ... Je le dis car il y a eu un précédent en Algérie dans les années trente. Un grand artiste du nom de Cheikh el-Anka - l'équivalent algérien de Abdelwahab - avait réussi à en tirer une version vraiment populaire qui s'est très vite répandue à travers toute l'Algérie, bien qu'en principe ce style est très régionalisé. Il y a un style populaire oranais, constantinois, algérois, etc. et de ce point de vue, Cheikh el- Anka avait fait une révolution au niveau du mouwashah.
37 - Avez-vous encouragé personnellement l'art et la musique une fois l'indépendance acquise ?
Oui, j'ai encouragé les musiciens et aidé au redressement de la musique nationale. La première troupe musicale algérienne, qui s'est imposée sur la scène arabe et a visité l'Irak, l'Egypte et la Syrie, s'était constituée grâce à mes efforts personnels et ceux d'autres artistes. La musique algérienne fit beaucoup de progrès à l'époque et on peut en relever les traces sur la musique algérienne actuelle.
Mohammed Abdelwahab était d'accord avec moi pour dire que l'Algérie posséde de très belles voix.
- Et les autres arts ?
Le théâtre avait joué un rôle important très tôt... Le Parti du peuple possédait un théâtre qui avait activement participé à la révolution. Mais la musique a joué un rôle essentiel. C'est elle qui a affirmé l'identité arabe du peuple algérien. Elle a même constitué à certaines époques le seul lien culturel entre notre pays et le reste de la nation arabe, sans parler de son rôle dans la révolution...
Quant au théâtre, nous l'avions nationalisé et la direction en avait été confiée à ce grand artiste qu'était Mohammed Boudia... Le connaissiez-vous ?
- Non, malheureusement.
Avant d'être assassiné par les Israéliens, il avait travaillé, milité dans les rangs de la révolution palestinienne... Il était de cette race d'intellectuels révolutionnaires authentiques... Il était responsable de certaines actions révolutionnaires en Europe pour le compte de la résistance palestinienne.
Au lendemain de l'indépendance, je lui avais confié la direction du théâtre mais après le coup d'Etat en 1965 il a choisi de s'exiler en France où on lui a confié la direction d'un théâtre. C'est dire que son talent et sa notoriété étaient un fait bien établi, même en France.
38 - Et le cinéma arabe, n'a-t-il pas joué un rôle en Algérie, ne regardiez-vous pas des films égyptiens par exemple ?
Je vous étonnerais peut-être en vous disant que dans ma jeunesse, je ne râtais presque aucun film égyptien... Au village, nous nous arrangions toujours pour voir les films égyptiens qui passaient et il nous arrivait même d'aller jusqu'à Oujda au Maroc. Ceci n'empêche que la majorité de ces films étaient commerciaux et sans valeur quant au contenu.
- Après l'indépendance, vous avez nationalisé le secteur du cinéma... Comment appréciez-vous le septième art ?
Au lendemain de l'indépendance, nous avons jeté les bases d'un institut du cinéma et créé une cinémathèque... Nous comptions combattre le cinéma commercial et le remplacer par un cinéma d'art et d'essai... Cela dit, le cinéma occidental n'est pas totalement sans intérêt, loin de là. On peut toujours y trouver des films de très grande qualité... C'est pourquoi nous avons nationalisé les salles de cinéma et développé parallèlement un circuit de ciné-clubs à travers tout le pays afin d'élever qualitativement le goût du public... Nous pouvons dire que ce coup d'envoi a permis de doter l'Algérie d'un cinéma qui est parmi les plus performants du tiers monde aujourd'hui.
En Yougoslavie, un film algérien, Omar Gatlatou, réalisé dans les années 80-81, a tenu l'affiche pendant trois mois... Dans les festivals internationaux, le cinéma algérien remporte un succès d'estime assez notoire et a même obtenu plusieurs prix de premier ordre. Cela n'est pas négligeable d'autant plus que beaucoup de pays européens "plus avancés" que nous n'ont pas eu ces prix. Aujourd'hui, il n'y a malheureusement pas de politique cinématographique saine en Algérie. Quant au cinéma mondial, il a beaucoup régressé qualitativement et l'apologie du sexe en est, pour une grande partie, responsable.
-Vous rappelez-vous de certains films égyptiens de l'époque?
Le cinéma égyptien était loin d'avoir mon estime. Le seul intérêt que nous lui reconnaissions, c'est qu'il nous unissait au reste de la nation arabe. Néanmoins, je me souviens que Salah-AlDin, un film des années cinquante nous avait beaucoup touchés. Ahmed Mazhar dans le rôle de Salah al-Din était excellent.
39 - Est-ce qu'il y a des films arabes actuels qui vous ont plu ?
J'ai rarement l'occasion, le temps me fait défaut, de voir des films, cependant j'ai beaucoup appréciéLe Messager et Omar-elMokhtar que je considère comme véhiculant une vision arabe du cinéma.
Dans Le Messager, j'ai pu constater que le talent d'un artiste arabe peu connu ailleurs que dans la sphère culturelle arabe peut dépasser de loin le talent d'artistes internationaux... A mon avis, Abdallah Ghaith est bien plus impressionnant que Anthony Quinn dans le rôle de Hamza, bien que j'apprécie beaucoup ce dernier... même chose pour Mouna Wacef, dans le rôle de Hind, par rapport à la grande actrice grecque d'Hollywood : Irène Pappas.
J'ai vu aussi des pièces de théâtre, anciennes et de plus récentes et, à mon avis le théâtre égyptien est plus intéressant que le cinéma égyptien.
- A propos, j'ai constaté que vous vous intéressez beaucoup à la musique turque ?
C'est une belle musique dont je possède certains fleurons qui equivalent les mouwashah ou les chansons anciennes de chez nous. De même que la musique arabe, je la préfère à l'iranienne.
- Vous écoutez de la musique classique occidentale ?
Evidemment, je la considère comme nécessaire à la formation de toute oreille... et je l'apprécie beaucoup. Par exemple Bach, Beethoven, Chopin, Schubert, Mozart... tous les Russes... dont j'avais une collection de disques qui a été saisie lors de mon arrestation et que j'ai reconstituée aujourd'hui. Ma bibliothèque à Maghnia compte encore de belles collections.
- Lequel de tous ces musiciens préfèrez-vous ?
Bach... je considère que j'ai des oreilles "bachiennes". On trouve chez lui une sensibilité religieuse et une inspiration spirituelle puissante... Bach est admirable... C'est vrai qu'il y a aussi Beethoven, notamment avec la neuvième symphonie... ainsi que certaines oeuvres de Mozart, mais j'apprécie surtout Bach.
40 - Et la musique occidentale contemporaine ?
Je la trouve sans intérêt, à part celle des jeunes "afro", peutêtre parce qu'elle a des racines africaines. Mais en général je ne goûte pas à la musique moderne, sauf exceptions.
- A propos de musique, je voudrais vous demander quel est l'auteur de Kassaman, l'hymne de la révolution ?
C'est Moufdi Zakaria que je connais personnellement. Il a été l'un des fondateurs du Parti du peuple mais il manifestait certains penchants libéraux que je n'appréciais pas.
- Cet hymne,était-il aussi celui du Parti du peuple avant la révolution?
Nullement, l'hymne du parti était le même que celui de l'Egypte à l'époque de la révolution de 1919 : Biladi, biladi... Mais on en avait changé les paroles en leur donnant une teinte plus algérienne et maghrébine ...
- Aimez-vous aussi les arts plastiques ?
A la fin j'aimerais bien que vous m'épargniez ce genre de questions qui risquent de me faire passer pour une personne qui fait parade de ses connaissances.
- Mais Monsieur le Président... il ne s'agit point de cela, le but est en exposant votre expérience intellectuelle de l'analyser et de l'étudier...
- La peinture a-t-elle uune place dans votre vie ?
Je me suis intéressé à la peinture et à ses différentes écoles... mais je n'apprécie pas la peinture surréaliste et abstraite... Par exemple, je n'aime pas Picasso, sauf sa période bleue et quelques toiles importantes, comme Guernica. Je ne cache pas que ma femme s'intéresse plus que moi à cette forme d'expression, elle avait écrit des articles sur la peinture lorsqu'elle était journaliste et c'est elle qui est à l'origine d'une bonne partie de ma culture dans ce domaine. Elle s'intéresse maintenant à la calligraphie.
J'apprécie beaucoup les espagnols, comme Le Gréco, Goya, Vélasquez, les Flamands, les Hollandais, certains Français, les impressionnistes par exemple.
41 - Etes-vous contre l'art abstrait ?
Je ne suis pas contre mais je ne le comprends pas. Klee, dans un de ses livres, explique comment il a été influencé par l'abstractionnisme des ornements et des arts islamiques.
On retrouve cette même inspiration arabo-musulmane chez les musiciens russes qui ont puisé beaucoup de leurs thèmes dans les contes des Mille et Une Nuits. Rimsky Korsakov par exemple. Le Hongrois Bartok a lui aussi été influencé par les rythmes arabes.
- Que pensez-vous de la littérature russe?
Je considère que le roman a atteint son apogée avec Tolstoï et Dostoïevsky dont j'ai lu toutes les oeuvres.
J'ai beaucoup aimé de Tolstoï Guerre et paix ainsi que Hadji Mourad dont il a puisé le sujet dans l'expérience de Chamil qui a été une grande geste islamique et révolutionnaire et qui a coïncidé historiquement avec la résistance de l'émir Abd elKader et les efforts de Mohamed Ali en Egypte...
Chamil a longtemps combattu les Russes pour arracher l'indépendance, le Maréchal français Soult a dit de cette époque, qu'elle était dominée par trois grands symboles brisés par l'Occident, à savoir Mohamed Ali en Egypte, l'émir Abd elKader en Algérie et Chamil en Azerbaïdjan.
D'une manière générale, j'apprécie beaucoup la littérature russe, j'aime aussi Gogol, mais ce sont Guerre et paix de Tolstoï et Les Frères Karamazov de Dostoïevsky qui m'ont le plus impressionné.
- Avez-vous un avis sur ce qu'on appelle la littérature musulmane ou la nouvelle littérature "soviétique" musulmane ?
Oui, j'ai lu Rassoul Hamzato et Gentis Hamzato et je les considère comme des écrivains très importants. Hamzatov en particulier, bien qu'encore très prisonnier des dogmes marxistes.
-Mais ne constituent-ils pas l'annonce d'un nouveau départ ?
Sans doute, à travers leurs romans, ils dépeignent un univers oriental, à tel point qu'en lisant Hamzatov j'avais l'impression de me trouver à Maghnia ou plus précisément dans nos hauts plateaux algériens. Il ne faut pas oublier Rachidov qui était
42 président du PC de l'Ouzbékistan et qui fait partie, bien que moins connu, du groupe, mais comme poète.
- Mais que pensez-vous de la littérature algérienne, après la révolution de l'arabisation ?
J'en connais une bonne partie mais pas dans sa totalité. J'ai aimé par exemple le jeune poète Ben Amar bien qu'il soit marxiste et essaie de faire revivre une philosophie qui est morte même dans le pays qui lui a donné le jour.
- Et Tahar Wattar ?
Oui, j'ai lu ses écrits, ils sont intéressants mais je n'aime pas ses comportements opportunistes. Il m'avait envoyé ses livres dédicacés avant de m'attaquer avec virulence dans un article. Il fait partie de ce groupe qui représente le marxisme au sein du FLN.
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