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"Tu dis qu'il faut brûler mon livre; Les tiens auront un meilleur sort, Ils mourront de leur belle mort !"
J-B. Rousseau
LES "TEMOIGNAGES" ET L´HISTOIRE
Par Robert Etienne
Lorsqu'on écarte les injures, les procès d'intention et le fatras d'un style très intellectuel parisien des années quatre-vingt, on constate que la partie intelligible du texte de Patrice Loraux "Consentir" ( in Le Genre Humain nº 22, novembre 90 - Editions du Seuil © Patrice Loraux 1990 ) comporte essentiellement:
1/ un rapprochement entre Roques et Gorgias.
2/ une accusation contre Roques (sous le couvert d'Aristote) à savoir de ne pas accepter le "consensus des historiens".
3/ une autre accusation contre Roques (toujours sous la même autorité) de ne pas accepter le *témoignage* comme argument historique fondé.
Voyons cela !
Le rapprochement opéré est arbitraire en ce sens que Gorgias - avec et comme les Sophistes en général auxquels Socrate s'est opposé - prétendaient illégitime toute certitude, toute démonstration ou - ce qui revient au même - se targuaient de pouvoir persuader les hommes de tout ce qu'ils voulaient.
Or Roques ne rejette nullement toute certitude; selon l'attaque de Loraux lui-même, c'est seulement dans deux domaines précis que l'attitude intellectuelle de Roques serait faussée:
- l'attitude vis-à-vis du consensus
- l'attitude vis-à-vis du témoignage
Le rapprochement arbitraire avec Gorgias sert en fait à Loraux de moyen pour introduire Aristote: c'est son rôle exotérique!
Mais il comporte - à l'évidence - une fonction ésotérique beaucoup plus importante...
En effet, l'attitude intellectuelle attribuée à Roques n'est pas précisément celle de Gorgias: elle est plutôt celle des Lumières, puis des rationalistes libéraux du 19ème qui ont - eux aussi - détruit le consensus qui vivifiait la société chrétienne en rejetant le témoignage des Apôtres et des chrétiens du temps apostolique, témoignage qui garantissait alors, depuis près de 19 siècles, et historiquement la vérité de la Résurrection et de la mort de Jesus Christ sur la Croix.
Loraux s'en prend donc à cette attitude intellectuelle, et il adresse ses injures non seulement à Roques, mais à toute la modernité anti-chrétienne pourtant largement enseignée dans nos écoles et universités, pourtant remachée sans cesse par les médias et l'intelligentsia politico-culturelle bien à la mode de nos jours....une sorte de pensée unique, au fond!
C'est ce que Loraux devrait dire, et même développer au besoin, s'il croyait vraiment à ses critiques contre Roques.
Il convient d'abord d'observer une confusion latente, dans le texte de Loraux, entre la question des sensibles communs (le mouvement, l'étendue...) et celle de l' opinion commune...
Le mot "commun" ne se réfère pas à la même chose dans les deux cas de figure, contrairement à ce qu'il ressort de la lecture du texte. Les sensibles comuns sont ainsi qualifiés non pas parce qu'ils sont perçus par la communauté des hommes, mais parce qu'ils sont sentis par plusieurs sens, à la différence des sensibles
propres (comme la couleur, le son..) qui spécifient une faculté sensible bien distincte. La démonstration que voulait faire Loraux trouve là ses premières limites...
Pour ce qui est du consensus, il est certain qu'Aristote en fait grand cas; cependant, il n'apparait pas qu'Aristote prétende que le consensus pris comme tel fournisse une certitude, et qu'il soit intellectuellement monstrueux ou moralement méprisable*de soumettre ce consensus à la critique. En sorte que les propositions qui font l'objet d'un consensus sont en fait des *opinions probables*, qui peuvent - légitimement - servir de base au syllogisme dialectique, lequel se différencie du syllogisme démonstratif qui s'appuie - lui - sur des données vraies et premières.
(Tout ceci est développé par Aristote dans son Traité "Les Topiques" livre I - chap.1, d'après une traduction classique de Tricot, chez Vrin, ed de 1984).
C'est ainsi qu'Aristote déclare : " Sont probables les opinions qui sont reçues par tous les hommes, ou par la plupart d'entre eux, ou par les Sages, et - parmi ces derniers - soit par tous, soit par la plupart, soit enfin par les plus notables et les plus illustres."
Quelques lignes plus loin, Aristote prend le soin de préciser qu'il y a des choses qui "paraissent probables mais qui ne le sont pas: c'est le lieu des syllogismes éristiques." (= qui appartient à la controverse). C'est clair!
Et ceci nous montre la nécessité, dans la vue d'Aristote, de soumettre les opinions *probables* (donc, en particulier les divers consensus) à un examen critique, afin d'en garantir l'authentique probabilité.. C'est ainsi que lui-même pratique lorsque l'occasion se présente à lui ; ainsi, dans son traité des Physiques, livre I, chap.5, après avoir constaté que les Anciens sont tous d'accord pour rechercher les principes du mouvement dans des "contraires", il en fournit une preuve quant au fait, puis déclare *nécessaire d'en rechercher aussi le pourquoi.
L'histoire des sciences, aussi, est là pour témoigner de l'existence de changements dans les consensus successifs; aucune personne sérieuse n'oserait aujourd'hui prétendre que le consensus des savants fournit - à lui seul - une certitude qu'il serait illégitime de vouloir (ou tenter de vouloir) remettre en cause.
Cela est si vrai, que le consensus est généralement admis comme la manifestation du modèle dominant en l'état actuel de nos connaissances (voir aussi pensée unique), et ce modèle n'en tire aucune valeur de certitude absolue (on pourrait parler ici du fameux "big-bang" en cosmologie...).
L'attaque de Loraux contre Roques au titre de cet argument est donc totalement dépourvue de fondement; en un mot, elle est oiseuse
Ici, ce n'est plus tellement Aristote que l'on pourrait invoquer comme théoricien, mais plutôt les théologiens cad. ceux qui ont vraiment étudié le sujet au point de vue philosophique, et plus spécialement les théologiens catholiques de la fin du 19ème/ début du 20ème siècle, ceux que l'on a observé dans leur combat contre le rationalisme libéral (voir 1/1).
Il est - de fait - exact de dire que la littérature révisionniste donne parfois l'impression de tomber dans l'erreur qui lui est reprochée, à savoir le rejet de tout témoignage dès lors que l'on y trouve soit une erreur, soit une contradiction. Mais il serait insuffisant de s'arreter à cette simple constatation.
Il apparait objectivement que, du coté des révisionnistes, ont été mis en lumière de véritables mensonges, des falsifications et/ou des erreurs dans les témoignages rapportés, qui vont bien au-delà de ce qu'il est habituel de rencontrer en ce domaine (parexemple, l'ahurissante variété des versions sur la résistance desAubrac....dont on parlait recemment.).
La crédibilité générale des témoins, en ce domaine particulier de l'histoire 39-45, est loin de se présenter, actuellement, comme une haute probabilité à intégrer nécessairement dans l' Histoire (avec un grand H). Sur ce point, le refus systématique de discussions que les anti-révisionnistes opposent aux révisionnistes ne peut qu'empêcher l'établissement critique et vérifiable par tous de cette solide crédibilité (si elle existe).
En tout état de cause, il est absolument nécessaire de soumettre ces témoignages à la critique: le témoin est-il sincère; le témoin est-il compétent sur l'objet de son témoignage? C'est - à titre d'exemple - la manière dont ont pratiqué les théologiens contre les rationalistes. Que les anti-révisionnistes fassent de même au lieu de noircir des pages de papier avec de longues dissertations, des (pseudo)-principes, pour - en réalité - se dispenser d'examiner réellement la question, ..... à la manière d'Aristote.
Dans le cas précis du texte de Loraux, j'ajoute - j'y tiens - que l'existence d'une législation repressive et policière sur le fond du sujet enlève évidement toute valeur intellectuelle au consentement apparent de la question.
Les anti-révisionnistes seraient bien inspirés de demander la levée de ces interdictions et des censures qui y sont jointes. Peut-être qu'alors, cela permettrait d'avancer.
R. Etienne
Robert.Etienne@wanadoo.fr