En France:
Tout ce qui n´est pas autorisé est interdit !
Il circule le texte authentique suivant:
REPUBLIQUE FRANCAISE Liberté Égalité Fraternité MINISTERE DE L'INTERIEUR ____________ DIRECTION DES LIBERTEÉS PUBLIQUES ET DES AFFAIRES JURIDIQUES SOUS DIRECTION DES LIBERTÉS PUBLIQUES ET DE LA POLICE ADMINISTRATIVE Paris, le 23 JUIL. 1997 21 07D2/SS/GG/72543 Monsieur, Je vous informe que mes services envisagent de proposer au ministre de l'Intérieur, sur le fondement de l'article 14 de la loi du 29 juillet 1881 modifiée, sur la liberté de la presse, une mesure d'interdiction à l'encontre de l'ouvrage intitulé : "Le Massacre d'Oradour, 1 demi-siècle de mise en scène", élaboré par un collectif de libres chercheurs, animé par Vincent Reynouard, pour le motif suivant : La publication intitulée "Le Massacre d'Oradour, 1 demi-siècle de mise en scène", de par son contenu qui contribue à la propagation de la thèse négationniste de l'existence de crime contre l'humanité, fait courir un risque de trouble à l'ordre public. Conformément au décret du 28 novembre 1983 relatif à la procédure contradictoire, vous disposez d'un délai de 8 jours pour me présenter vos éventuelles observations, qui doivent être adressées à l'adresse suivante : Ministère de l'Intérieur Direction des Libertés Publiques et des Affaires Juridiques 11, rue des Saussaies 75008 Paris Veuillez croire, Monsieur, en l'assurance de mes sentiments distingues. Le Directeur des libertés publiques et des affaires juridiques Jean-Paul Faugere ADRESSE POSTALE : PLACE BEAUVAU 75800 PARIS CEDEX 08 STANDARD 01.49.27.49.27 -- 01.40.07.60.60 |
Cette lettre appelle évidemment quelques commentaires.
1/Il faut toujours commencer par apprécier l'existence, au pays qui est l'héritier de la Révolution française et qui se présente comme saisi par le prurit des droits de l'homme, d'une fonction intitulée "Direction des libertés publiques", que l'on croyait réservée à la société qu'Orwell décrit dans 1984.
2/Nous avons eu le loisir de noter que les gommeux qui occupent ces postes font ensuite de brillantes carrières de porte-coton dans les cabinets ministériels. Ces hauts-fonctionnaires sont des animaux à échine souple.
3/L'une des principales fonctions du Directeur des libertés publiques consiste, on l'aura compris, à interdire des livres. Dans les régimes moins honteux de leur misère intellectuelle, on appelle ça le Bureau de la Censure. Au Vatican, c'était l'Index. Chez nous, on colloque la chose « Libertés », ça fait plus flambard.
4/Le Directeur envisage l'interdiction d'une publication qui concerne le massacre d'Oradour « sur le fondement de l'article 14 de la loi du 29 juillet modifiée ». Cette modification qui nous vaut l'article 14 fait suite à un décret du 6 mai 1939, pris par les débris du gouvernement issu du Front populaire pour interdire l'entrée de la propagande nazie et de la propagande fasciste. Elle donne au ministre de l'intérieur la faculté d'interdire des écrits en langue étrangère ou « de provenance étrangère rédigés en français, imprimés à l'étranger ou en France ». C'était évidemment déjà répondre au fascisme par les méthodes fascistes. Cela n'a rien changé à la guerre des propagandes mais cette arme a été abondamment utilisée par les ministres de l'intérieur longtemps après la mort des fascismes. Par exemple, pendant la guerre d'Algérie, pour interdire l'entrée en France d'ouvrages publiés en Suisse et dénonçant les tortures infligées par l'armée française aux rebelles algériens. Ce décret d'inspiration fasciste n'a évidemment jamais été aboli, il est trop commode.
5/Dans le cas de l'ouvrage en question, il s'applique incontestablement puisque le livre porte le nom d'un éditeur en Belgique. Il s'agit même d'un cochon de Flamand, qui est donc bien un sale étranger que notre bon article 14 permet d'ostraciser tranquillement, et surtout, légalement. A vrai dire, en y regardant de plus près, on voit que la mention de l'éditeur a été rajoutée après publication, par un autocollant. En réalité, le livre ne porte aucune mention d'éditeur ni d'imprimeur, ce qui doit le mettre en infraction avec les règlements de la presse.
6/Le deuxième paragraphe du Seigneur Directeur est beaucoup plus jouissif. Il aurait pu s'arrêter là ; en effet, l'article 14 s'applique tout seul. Il tombe comme le couperet de la Veuve. Pas de chichis.
Mais, comme dans la Bible on trouve les traces du Yahviste et celles de l'Élohiste, on trouve ici une deuxième version des raisons qui imposent l'interdiction urgente de ce livre. Ce deuxième rédacteur est un gayssotin qui se cache. En effet il affirme que le contenu du livre « contribue à la propagation de la thèse négationniste de l'existence de crime contre l'humanité », cause évidemment ordinaire et contraignant de trouble à l'ordre public.
7/Il n'existe pas de thèse négationniste. Le « négationnisme" n'est qu'un mot de propagande inventé par des historiens qui se trouvaient bien en peine de répondre à des arguments qui renversaient leurs petits jeux traditionnels. Personne n'entre dans une catégorie qui est pur phantasme. Les gens visés se nomment révisionnistes, parce qu'ils veulent réviser certains résultats de la « science historique » contemporaine, résultats dont ils se font fort de démontrer l'inexactitude.
8/Personne n'est, en général, « négationniste de l'existence de crime contre l'humanité ». Ce singulier étrange semble désigner une généralité. Aucun auteur, aussi irénique soit-il, n'a émis l'idée absurde qu'il n'existerait pas de crime, contre l'humanité ou contre des individus. Peut-être faut-il mettre cette phrase totalement imbécile au compte d'un rédacteur effarouché qui s'est entortillé dans son désir de faire appel à la gayssotine (ou loi Gayssot) sans savoir comment l'appliquer dans le cas présent.
9/La gayssotine est d'application malheureusement circonscrite. Elle parle de crimes contre l'humanité, une catégorie juridique qui ne peut pas s'appliquer à l'affaire d'Oradour, qui a été jugée en 1951, dans la cadre de la législation de l'époque, qui ne connaissait que les crimes de guerre, prescriptibles comme les autres crimes. Il a fallu, rappelons-le, l'incroyable gymnastique de magistrats-carpettes, comme l'inhonorable président Truche, pour décréter en 1987 que certains crimes pouvaient avantageusement être requalifiés de crimes contre l'humanité en sorte que l'on puisse rétro-activement appliquer cette qualification à des faits par ailleurs prescrits. C'est au prix de ces éc¦urantes cuisines qu'on a pu juger Barbie (et le condamner beaucoup plus durement que ses chefs ne l'avaient été en France, trente ans auparavant). Pour l'instant, à moins d'être soumise elle aussi à la moulinette pataphysique des Trucheurs, l'affaire d'Oradour ne relève d'aucun crime contre l'humanité - de l'époque.
Aujourd'hui, c'est différent. Marcher sur le pied d'Elie Wiesel est un crime incontestable contre l'humanité - d'aujourd'hui. C'est pas la même.
10/Manque de bol, l'ouvrage en question, rédigé par un collectif de chercheurs animé par Vincent Reynouard, ne nie pas du tout que des gens aient été tués lors du massacre d'Oradour. Pas la moindre négation à se mettre sous la dent.
11/La gayssotine, aux dires même de ces promoteurs, les avocats qui échouaient à faire tomber le professeur Faurisson, comme Maître Jouanneau, qui en fut le principal rédacteur, visait à protéger les juifs contre le retour de la bête dont le ventre immonde patala...
12/Remanque de bol. A Oradour, pas l'ombre d'un vénérable descendant d'Abraham. Zéro. Peau de balle.
13/Trêve de plaisanteries. On assiste, pour la première fois, officiellement, à une extension et à une généralisation de la gayssotine. On veut appliquer cette loi à des domaines de faits, et de recherches, auxquels elle est totalement étrangère dans l'esprit de ses promoteurs. Les hautes autorités qui l'ont promue ont promis en même temps qu'elle ne viendrait pas interférer avec le travail des chercheurs. Voici la preuve qu'elles avaient tort, que la dérive est bien entamée. Les promesses des ministres ne valent pas même celles des ivrognes à causes des excuses que ces derniers ont en plus.
14/Les historiens qui avaient cru suffisant de se lisser les plumes en disant qu'ils désapprouvaient, bien sûr, une telle loi, tout en comprenant les sentiments de ceux qui la réclamaient à cor et à cris, sont maintenant en première ligne : il suffira qu'une association quelconque de prétendus descendants de gens qui pourraient estimer avoir été victimes de crimes (toujours contre l'humanité) pour geler des domaines de plus en plus vastes de la recherche. Il sera bientôt prudent de conseiller aux étudiants de s'intéresser en priorité des sujets bénins, à éviter l'histoire des chaisières du Luxembourg, qui ont disparu dans des conditions suspectes ou à celle des boulangers, tant sont connus les crimes contre l'humanité dont furent victimes au cours des âges tant de petits mitrons.
Déjà des presses universitaires américaines sont sous pression: des lobbys veulent leur interdire de publier des recherches sur Chypre, sur les Arméniens, sur des personnages de la deuxième guerre mondiale (cas de David Irving)
15/Ce qui frappe une fois de plus, c'est la nullité crasse des considérants de cette lettre. Ce Faugère doit pourtant sortir d'une blenarchie quelconque. On devrait avoir au ministère quelques juristes compétents. Et bien, non. Des nuls, toujours des nuls. Les vigilants, quant à eux, vont vigiler, c'est-à-dire multiplier les procès genre mao et réclamer toujours plus de répression.
16/Ils vont interdire, bien sûr, le livre est déjà presque épuisé. Tout ce qu'ils vont obtenir c'est qu'il se retrouve vite fait sur Internet, avec la mention "interdit par le gouvernement français". Du nanan. Avec ce label de qualité-là, on part vers les gros tirages.
LE TEMPS IRREPARABLE
Fugit irreparabile tempus
Paris, 7 août 1997