Cette revue
de presse est limitée aux journaux parus le samedi 11
décembre 1999 : radio et
télévision n’ont certes pas manqué
de commenter le rapport Bergier, mais il eut
été trop aléatoire de rapporter tout ce
qui s’est dit à ce sujet, sans compter la
difficulté de rendre compte fidèlement des
propos tenus si l’on ne dispose pas
d’enregistrements.
En général,
les médias fonctionnent comme un projecteur dans
l’obscurité: n’est éclairé
que ce que l’on veut bien montrer. En principe, la
lecture des médias, s’ils sont d’opinions
différentes, permet de mieux approcher la
réalité. Par exemple, si un projecteur
illumine le pied du Cervin, on verra qu’il s’agit
là d’une montagne, mais sans pouvoir la situer;
si un autre projecteur se braque sur le sommet, on devinera
qu’il y a là un lieu élevé. Mais
pour identifier avec certitude le site en question, il
faudra que plusieurs projecteurs éclairent
l’ensemble de la montagne pour qu’une image plus
complète s’en dégage. Remarquons que
cette métaphore s’applique également au
rapport Bergier lui-même. Cette manière
unilatérale de présenter les choses est
caractéristique du règne de la pensée
unique, laquelle veut réduire la
réalité à une vision dirigée,
voire même obligée, en supprimant tout fait
susceptible de troubler l’image ainsi imposée
à l’opinion publique.
C’est ainsi que la
presse suisse, mis à part quelques
légères fausses notes vite
étouffées, a chanté d’une seule
voix les louanges du rapport Bergier, se joignant ainsi au
chœur des flagellants de la grande presse
étrangère dans l’interprétation
d’une partition écrite de longue date par les
Maîtres chanteurs du Mur des lamentations.
Commençons par la
presse française, avec Le Monde
qui titre : «Un nouveau rapport stigmatise la
Suisse pour le refoulement des réfugiés
juifs». Ce rapport analyse «sans
complaisance» l’attitude de la Suisse officielle
à l’égard des réfugiés, en
particulier juifs. «Il apporte un éclairage cru
sur l’un des aspects les plus troubles de cette
période et marque une étape importante dans
l’examen de conscience de la Suisse envers son propre
passé», écrit encore Le Monde.
Quant au Figaro, il note que le rapport
Bergier, publié quelques jours après celui de
la Commission Volcker sur les fonds en
déshérence, «vient renforcer l’image
d’une Suisse officielle et de la finance prête
à s’accommoder de la politique du Reich pour
souvent en tirer bénéfice». A Londres, le
Financial Times prévoit que la Suisse
sera à nouveau confrontée aux pressions des
survivants juifs victimes des persécutions nazies. Le
rapport Bergier étant officiel, le journal
économique considère que le gouvernement
suisse sera sans doute obligé de dédommager
les rescapés juifs. En Allemagne, la
Frankfurter Allgemeine Zeitung mentionne une
«politique suisse des réfugiés peu
glorieuse». Alors même que les banques suisses
ont été blanchies par le rapport Volcker de
l’accusation de s’être approprié
systématiquement l’argent des victimes juives,
en comparaison, le comportement des autorités suisses
frappe plus durement encore. Pour la Suddeutsche
Zeitung, le rapport est considéré
davantage comme un «état des lieux» que
comme une «révélation». En Autriche,
le Kurier parle de découvertes
désagréables et s’attend à de
vives discussions.
Sur l’autre rive de
l’Atlantique, le New York Times a
publié un article sous le titre : «Un
rapport d’historiens critique la Suisse pour le
refoulement de Juifs durant la guerre», mais cite la
remarque du Conseil fédéral selon laquelle le
rapport Bergier ne tient pas suffisamment compte du contexte
international de l’époque. Par ailleurs, selon
le sous-secrétaire d’Etat américain
Stuart Eizenstat, le rapport Bergier peut servir
d’exemple à d’autres pays.
Du côté de la
Terre promise, si la presse israélienne n’a que
peu évoqué la publication du rapport Bergier,
Israel Singer, secrétaire général du
Congrès juif mondial, n’a pas oublié
de plastronner : «La Suisse fait enfin
l’apprentissage de l’autocritique». Avec ce
document, elle a fait montre d’une «parcelle
d’honnêteté» dont d’autres pays
sont incapables, a-t-il encore confié au
Sonntagsblick. L’engagement de la Suisse
à faire toute la lumière sur son passé
a été notamment salué par les
autorités de l’Etat hébreu. «La
volonté de faire émerger la
vérité est tout à l’honneur de la
Suisse», a déclaré Amira Dotan,
porte-parole du Ministère israélien des
Affaires étrangères. Noah Flug,
secrétaire général des Organisations de
survivants de l’Holocauste, a aussi loué
«les efforts des autorités suisses pour traquer
la vérité, même si elle fait mal».
Enfin, la presse
suisse n’a pas été en reste dans ses
commentaires. Pour les journaux de boulevard, Le
Matin de Lausanne titre «Un rapport
sévère, mais salutaire», souhaitant
même «la remise à jour de nos livres
d’histoire», alors que le
Blick entonne le même refrain, avec
un titre hautement pédagogique : «Cela ne
doit plus jamais se reproduire !», et de raconter
l’histoire forcément tragique de trois
réfugiés refoulés. Large écho
dans Le Temps, qui titre «Notre histoire,
notre faute» : «Il n’y a pas de
vérité relative ou absolue. Il y a les faits
et ils nous font un choc au ventre», se lamente avec
complaisance l’éditorialiste, qui
apprécie comme il se doit «les paroles de
contrition, d’excuses et de recueillement» du
Conseil fédéral. La Tribune de
Genève met l’accent sur la Suisse
contemporaine : critiquer la génération
de la Mob est «hypocrite» si on ne fait pas mieux
aujourd’hui. L’éditorialiste dénonce
l’actuelle loi sur l’asile pour conclure :
«Au fond, on serait enclin à trouver plus
d’excuses au Conseil fédéral des
années quarante qu’au peuple des années
nonante». La Berner Zeitung pour sa part
s’inquiète de l’antisémitisme
«qui n’est pas une relique du passé, mais
qui sévit dans les cours d’école».
Parlant de «honte», le Tages
Anzeiger voudrait honorer la mémoire des
victimes juives de l’époque. A son avis, le
Conseil fédéral s’est contenté
d’un «service minimum», et il affaiblit ses
excuses en le truffant de critiques et de justifications
déplacées, ce qui est une nouvelle honte,
selon le très masochiste quotidien zurichois. Ces
critiques du Conseil fédéral, la Neue
Luzerner Zeitung les reprend pour elle : les
historiens de la Commission Bergier n’ont pas assez
tenu compte des circonstances dramatiques de
l’époque, ajoutant même que le Conseil
fédéral a bien fait de ne pas présenter
de nouvelles excuses, ce qui aurait «attisé
inutilement un antisémitisme toujours
présent». Plus habilement, la Neue
Zürcher Zeitung titre «Une chance
manquée». Non pas la chance qu’auraient eue
les Juifs de pouvoir se réfugier en Suisse en 1942,
mais bien la chance manquée d’influencer
durablement la mentalité suisse avec un rapport qui
offre trop de prises à la critique et qui risque de
faire effet contraire, car «on ne peut pas
écrire l’histoire avec des textes votés
à la majorité». Reste deux
irréductibles autant que lucides quotidiens
romands : Le Nouvelliste de Sion, parle
sans ambages «d’autoflagellation
proclamée», et L’Express de
Neuchâtel affirme sans complexe qu’il ne lira
jamais ce «galimatias», ce «brouet un peu
écœurant» qui veut «enfoncer
jusqu’au trognon dans le cerveau du bon peuple la
conviction que la Suisse, sans être complice de
l’Allemagne nazie, en a cependant été la
supplétive zélée». Parlant
«d’introspections censément
purificatrices», L’Express voit dans ce
rapport une manœuvre des «nouveaux
procureurs» qui souhaitent une politique d’asile
plus tolérante encore, et qui font tout pour
«ébrécher, si ce n’est dynamiter le
socle des valeurs traditionnelles de la
Suisse».
Pour terminer,
l’article paru dans la Jüdische
Rundschau du 2 décembre 1999,
c’est-à-dire antérieur à la
publication du rapport Bergier, laisse entrevoir qui tire
les ficelles et comment se préparent dans les
coulisses les événements à venir, ainsi
que la manière dont ils seront «servis» au
«souverain» par les médias
empressés.
On y apprend sans
détour comment un conseiller fédéral
reçoit les instructions de ses deux
«parrains», les inévitables autant
qu’omnipotents MM. Bloch et Feigel. Ainsi, Rolf Bloch,
président des Communautés israélites de
Suisse dit avoir déclaré à Joseph
Deiss : «Je l’ai encouragé à
accepter les résultats de l’enquête
juridico-historique sur l’activité de ses
prédécesseurs du temps des années du
régime nazi et à les désavouer.»
Quand le bon Joseph s’inquiète de savoir ce
qu’il faut faire maintenant pour réparer les
«crimes» de nos ancêtres, les
compères juifs se font soudain magnanimes : il
ne s’agit plus d’obtenir de l’argent, mais
seulement de mettre sur pied des programmes éducatifs
pour grands et petits afin de combattre efficacement le
racisme, l’antisémitisme et la
xénophobie. En clair, cela veut dire renforcer la
répression contre les patriotes, restreindre encore
davantage les libertés d’opinion et
d’expression et intensifier la propagande en faveur de
la nouvelle religion «holocaustique». On comprend
mieux maintenant le sens des propos de certains
éditoriaux qui viennent d’être
cités.
Ainsi se
répète l’histoire des trompettes de
Jéricho. Le progrès, ici, est que les
trompettes sont à la fois intra et extra-muros. Une
débauche sonore presque inutile, puisque, avec nos
politiciens et nos magistrats, même suprêmes, un
simple coup de sonnette suffit, celui qui fait accourir les
domestiques.
Mais qui pourrait conclure
mieux que David Ben Gourion, ancien premier ministre
israélien, quand il déclare : «Peu
importe ce que dira le monde. Ce qui compte, c’est ce
que feront les Juifs !»
1.
1 Yann
Moncomble, Les vrais responsables de la troisième
guerre mondiale, Faits et Documents, 1982, page
274